Une histoire de sucette ?!... La genèse de la dépendance affective...
Faut que je te raconte une histoire triste...
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...à mon sujet. Et je sais que tu aimes bien te dire que moi aussi, j'ai eu des problèmes... Et que j'en ai encore... Ca me rend humaine et ça te détend...
A mes 3 ans, la veille de ma rentrée en maternelle, ma mère a décidé qu'il était temps pour moi de laisser ma sucette. Tu sais, ce bidule que tu mâches plus que tu ne tètes en grandissant doucement. Cette décision a été prise sans me demander évidemment.
Un soir, je me suis couchée. Le lendemain, Tututte avait quitté mon chevet. Je me souviens précisément de ce drame. De chaque détail. Je me souviens encore, haute comme 3 pommes, rentrer dans la chambre de ma mère.
Pleurer à hurler et m'entendre dire : "Tu es grande maintenant. Demain, tu vas à l'école. Tu n'en as plus besoin". Je me souviens m'être effondrée au pied du lit de ma mère. Je me souviens de mes cris : "Mamaaaaaaaannnnnn..." Je me souviens de mon affolement. Parce que je l'ai cherché partout et que je ne l'ai jamais retrouvé. J'ai du vérifier mille fois sous mon petit lit, regarder dans le tiroir de la commode, dans la penderie de mes parents.
Ma mère m'a avoué bien plus tard qu'elle avait atterri dans la poubelle tout simplement.
J'étais toute petite mais j'ai ressenti un des premiers grands froids de mon existence. Parce que ma mère et ma nourrice m'avaient grondées. Je n'étais pas raisonnable de pleurer. "On ne fait pas de caprices quand on est grande..."
Et personne ne m'a jamais consolée.
Je me souviens, hoquetant sur le bord de mon lit, passer la main sous la taie d'oreiller et ne rien trouver... Je sais maintenant pourquoi j'ai ressenti si fort cet épisode. Hypersensible, j'étais déjà. J'en ai longtemps gardé la meurtrissure. Quand je l'ai évoqué lors d'une séance avec mon coach en 2019, je me suis effondrée de larmes.
A ce moment, mon désarroi était encore tapi dans le fond de moi... Les blessures restent longtemps quand on ne s'en occupe pas.
Ca peut paraître anodin comme histoire. C'est juste une tétine. Mais pas tant que ça...
Mon cerveau de petite fille venait d'assimiler deux choses :
Ma maman était méchante (Ce qui est faux en l'état, mais je l'ai traduit comme ça...).
Grandir était violent et rendait triste.
Le lendemain, je devais aller à l'école. Comme beaucoup d'enfants, cette sucette était le prolongement de ma mère. Certes, je ne prenais plus le sein depuis longtemps. Mais Sucette l'avait remplacée. Et ce sevrage violent et non concerté me coupait de mon sentiment de sécurité. Affronter ma première rentrée sans ce petit objet me semblait impossible.
Ma mère venait de créer une brèche dans ce que Freud appelle le développement psychosexuel de l'enfant. Et ouvrir la porte à la dépendance affective, sans le vouloir, sans le savoir...
Connaissez-vous Freud, le père de la psychanalyse ?
Ses théories ont toutes été controversées. Pour autant, elles sont à l'origine de la compréhension du psychisme de l'être humain et des fondements de la structure de la personnalité. Elles servent toujours et encore à déterminer si un être est équilibré, s'il est conscient de ce qu'il fait de bien ou de mal, s'il est apte à évoluer en société...
Il a découpé le développement de l'enfant selon 5 phases :
Le stade oral
Le stade anal
Le stade phallique
La période de latence
Et le stade génital
Ces phases sont associées aux âges. A 3 ans, on entre dans le stade phallique avec les histoires d'Œdipe Roi et de son père à abattre.
Cependant, pour diverses raisons, je tenais encore ma sucette non loin de cet âge. Mon stade oral prenait du temps à passer. Il n'avait pas été fait au bon moment, c'est à dire vers mes 2 ans. Et mon rapport à Tututte avait été prolongé. Et puis d'un coup, boum! Plus rien. Et Maman n'avait pas cédé. Je suis donc passée du sentiment de réplétion et de satisfaction de la tétée au néant maternel. De tout à rien. Du sentiment d'amour fusionnel rassurant à la froideur de l'adulte face à ma tristesse.
Pour Freud, ce stade est le début de la construction de la personnalité de l'enfant. Lorsque la séparation du « sein » de la mère est faite correctement, au bon moment et avec tact, le petit individu apprend à contrôler son désir de satisfaction dans les moments où la réalité ne le permet pas toujours. L'enfant apprend qu'il doit se satisfaire (et notamment manger) tout seul et sans l'intervention de sa maman.
Il expérimente donc le détachement et sa mère n'est plus la source de satisfaction. (A savoir le lait et le lien d'amour).
C'est donc en se détachant que l'on construit sa personnalité. Si cette phase se fait ou se conclut mal, l'enfant reste dépendant. Il cherchera auprès de sa mère, puis des autres de quoi satisfaire son sentiment de sécurité et son besoin d'amour.
Plus grand, si l'individu est resté bloqué ou blessé dans ce stade, il va avoir tendance à chercher à se satisfaire oralement. Il aura toujours une truc à la bouche. Nourriture, chewing-gum, cigarettes, boissons (souvent en cannette ou en gourde)...
Et surtout.... la parlotte!!!
C'est l'histoire de celui qui a toujours un avis sur tout, qui parle sans cesse et pour ne rien dire, qui a des difficultés à rester dans le silence, qui téléphone sans arrêt, qui est sarcastique ou grand orateur. Il parle même la nuit.
Et bien évidemment, ce stade nous parle de la mère et de l'autonomie.
Quand je suis un nourrisson, un bébé, un tout petit, celle qui me maintient en vie, c'est ma mère. C'est elle qui me donne par son lait ou mon biberon de quoi survivre. Les nutriments et les calories nécessaires à ma survie. Je suis dépendant de sa présence pour rester en vie. Puis, je découvre que manger est plaisir, notamment en lui tétant le sein... Oui, c'est Freud hein...
Ma mère est donc pourvoyeuse de vie et de satisfaction. C'est pour cela que cette phase doit se passer sans heurts et être accompagnée de "Je suis là pour toi, rassure-toi, tu es capable et tout va bien..."
L'enfant, futur adulte, devient autonome, contrôle son besoin d'amour et n'a pas l'impression de mourir dès que sa mère le quitte. Mais tu me vois venir avec le futur adulte ? Non?
Comment caractérise-t-on un adulte qui est incapable de se débrouiller seul ? Qui se sent perdu quand il n'est pas rassuré sur l'amour que lui porte l'autre ? Qui est capable de dire « Je ne suis rien sans toi » ? Qui vit le célibat comme une punition ou un mouroir ? Qui cherche partout la mère idéale qu'il n'a jamais eu aux travers de ses relations ?
Il peut y avoir quelques différences entre les hommes et les femmes... Mais dans l'ensemble, tu connais ce type de personne? Le dépendant...
Et tu sais, quand j'observe quelqu'un parler sans cesse, je sais d'emblée qu'il n'a pas confiance en lui.
Tu comprends pourquoi maintenant ?
Alors, c'est pas grave. L'individu se développe tout de même, mais avec des blessures, des névroses et des sentiments bizarres...
Et peut-être que tout cela prendra le contrôle sur son comportement. Et le rendra dépendant aux autres sans jamais comprendre pourquoi et comment?
Le sevrage...
Bien à toi,
Delphine